Les limbes de l'urbanisme

Urbanisme, genres et émotions

A première vue, l’espace public est mixte. A première vue seulement. Car l’espace urbain demeure un espace où les déséquilibres entre les deux sexes restent profonds /.../


« Les femmes ne font que traverser l’espace urbain, elles ne stationnent pas », explique le géographe Yves Raibaud. « On constate que les femmes traînent moins souvent dans la rue sans avoir quelque chose de précis à y faire et se déplacent rapidement d’un endroit à un autre », confirme Patricia Perennes, d’Osez le féminisme. Allez vite pour éviter les ennuis /.../


Car une femme seule est trois fois plus abordée dans la rue qu’un homme. Parfois sympathiques, ces rencontres peuvent s’avérer désagréables et provoquer un sentiment d’insécurité /…/ Sifflées, collées, insultées, autant de situations que vivent les femmes dans la rue /…/ Pour la sociologue Marylène Lieber, professeur à l’Institut des études sur le genre, à Genève, les femmes subissent des « rappels à l’ordre sexués, des petits actes qui n’ont rien de grave mais qui leur rappellent sans cesse qu’elles sont des “proies” potentielles dans l’espace public : commentaires, regards soutenus, etc. » /…./


Le métro, le soir, est fréquenté en moyenne par deux femmes pour huit hommes /…/


Les décideurs de la ville ne font rien pour réduire ce fossé entre garçons et filles. Ils font même le contraire. Ainsi, 85 % du budget des équipements programmés dans les zones prioritaires vont aux garçons. Pour « canaliser la violence », dit-on /…/ Les gestionnaires des politiques publiques, les urbanistes notamment, sont en grande majorité des hommes et agissent en fonction des idées qu’ils ont des femmes /…/


Les femmes érigeraient ce que le géographe Guy Di Méo appelle des « murs invisibles » dans l’espace urbain. Ces barrières sont inconscientes. Elles varient d’une personne à l’autre et d’un jour à l’autre en fonction des émotions.


Extraits de « La rue, fief des mâles », Fanny Arlandis, Le Monde Culture & Idées, le 6 octobre 2012, p.6

 

Urbanisme, passages, souterrains, et sensations

Convaincre les Lyonnais que vingt minutes de marche dans un tunnel peuvent offrir une promenade agréable : c’est le défi relevé par la ville de Lyon, qui a décidé de profiter de la rénovation du tunnel de la Croix-Rousse pour inventer une nouvelle pratique urbaine et faire de cette « traboule géante » une attraction écolo-artistique… Pour concevoir le projet, la ville a fait appel à un psychiatre, Patrick Lemoine, chercheur en neurosciences et spécialiste des troubles anxieux, car les Lyonnais et surtout les Lyonnaises ont fait part de leur appréhension à emprunter le futur ouvrage. La traversée devrait durer vingt minutes sans possibilité d’échappatoire ni vision extérieure. La ligne courbe ne permet pas de discerner la sortie /…/


Dès les premiers mètres, le piéton devra ressentir une impression de sécurité et de bien-être, à travers une atmosphère lumineuse rassurante, un éclairage doux et précis, proche de la lumière du jour, ne laissant aucune zone d’ombre. Tout au long du parcours, les usagers trouveront à leur disposition des boutons d’appel d’urgence, des bancs de repos et des points d’eau. Des fresques numériques réalisées par des artistes seront projetées sur les parois, pour tenter de restituer de la vie, comme dans la rue /…/


« Il faut créer un lieu qui produise un sentiment de sécurité absolu, estime Gilles Vesco. Il s’agira de l’es- pace public le plus sûr de Lyon, avec des caméras de surveillance, des systèmes d’alerte, des voitures de service mobilisables à tout moment. Mais, en même temps, il faut éviter d’en faire un lieu de rassemble- ment. Alors, pour inciter les gens à circuler, la scénographie sera évolutive tout au long du parcours. »

 

Extraits de « Lyon invente le tunnel pour vélos et piétons », Sophie Landrin, Le Monde, le 6 novembre 2012, p.10